La jetée de Chris Marker c'est la rencontre du film d'art & d'essai avec la SF. L'une des plus grosses claques du genre des 30 dernières années... rien d'étonnant que L'Armée des 12 Singes, son remake grand public de Terry Gilliam, soit devenu une référence culte incontournable!
Approcher La Jetée et s’y perdre…
La Jetée c’est un petit bijou de 28 minutes. Sorti en 62 son aura n’a pas décliné, sa force non plus. Il aborde tous les thèmes majeurs qui hantent les créations de l’humanité : la vie, la mort, l’amour et tout ce qu’il en reste face à la fatalité du destin.
La Jetée c’est un objet filmique étrange. Composé d’un plan filmé unique et d’un long diaporama de photos en noir et blanc souligné par la voie off d’un unique narrateur soutenu par une bande son immersive.
La Jetée c’est le chef-d’œuvre multidisciplinaire d’un artiste polymorphe. Entièrement un objet d’Art, entièrement une histoire de SF. D’une apparence fragmentaire, tel des photos tombées d’un album, à la cohérence absolue de son récit inflexible.
La jetée c’est à l’image de L’île des morts de Böcklin. Une expérience qui, si vous êtes sensible à l’interrogation existentielle poétique, vous marquera irréversiblement.
Une histoire du passé et du futur dans un présent flottant...
La Jetée c’est du fond en adamantium!
Perdu entre les souvenirs du passé et du futur, le présent s’incarne en une voix qui nous compte sa vie. Une voix qui nous offre le point de l’instant, cette bascule insaisissable entre ce qui était et ce qui sera. Nous passons d’une image figée -d’un souvenir passé ou à venir- à une autre. Le récit du narrateur et les bruits nous jettent des petites brides de sens auxquels nous nous raccrochons.
Balayé par la lame de fond du destin, l’amour diffuse sa douce lumière d’espoir. Mais il est toujours trop tard.
Tel Sisyphe, il pousse le rocher de ses souvenirs. Tout se raccrochant à ces brefs fragments, qui fixent nos vies, ces instants de félicité ou d’horreur où nous étions et nous étions présent.
Grace au postulat d’une SF anticipatrice, La Jetée replie le temps subjectif sur le temps physique, le voyage en l’un permettant le voyage en l’autre.
Le temps comme espace d’être, d’advenir dans l’expansion et la décrépitude de l’expérience de la vie. Le souvenir comme un temps de conscience où l’on a été.
``Le temps n'est pas quelque chose qui existe en soi``
Kant, Esthétique transcendantale, §6
``Le temps c'est ce qui soutent l'existant. La conscience c'est le mouvement dans le temps qui soutent l'existence d'un soi``
VieuxGeeks à son coloc en peignoir, un jour à 09h11
Et L’Armée des 12 Singes dans tout ça?
Comme dirait ma femme “c’est bien joli tes délires, mais moi j’me fais chier”. La Jetée c’est absolument génialissime, mais c’est pas exactement le truc le plus abordable… ma femme est plus Avengers que Pi, j’m’en moque, j’aime les deux.
Mais justement, c’est précisément là qu’apparait la patte et le tour de force de Terry Gilliam. Il te prend une œuvre à la complexité BAC +15 et te fait un film accessible à un plus large public sans oblitérer la profondeur de l’original. Les thèmes sont là, l’histoire est là… mais les délires métaphysico poétiques deviennent l’arrière plan. Si tu les cherches, tu les trouves, mais ils ne sont plus un passage obligatoire. Alors oui, la puissance artistique en prend un coup, on passe d’une prod d’art et d’essai à un film conventionnel, ok. Pourtant la conversion est très bonne et permet de développer intelligemment des interrogations en suspend dans La Jetée, et je connais personne qui se plaint de la prestation de Brad Pitt pour l’occasion.
Non sans dec, j’vous rappelle le titre de l’article! Perso j’aurais pas misé un centime sur ce projet, j’aurais limite sorti les fourches et aiguisé les baïonnettes… là on te parle d’adapter La Joconde du ciné d’art et d’essai de SF quand même! Donc voilà, respect.
En conclu
De toute façon vous connaissez déjà tous L'Armée des 12 Singes, filez voir La Jetée! Et si sérieusement vous connaissez ni l'un ni l'autre, va falloir vous reprendre en main et allez vite visionner tout ça!