Il était une fois un projet au destin mouvementé. Un projet d'une ambition trop rare dans le paysage audiovisuel français. Heureusement, il est des rêveurs que l'adversité n'arrête pas.
Dominique Filhol, est alors fraichement sorti de l'ESRA, quand il décide de négocier les droits d'une nouvelle d'Arthur C. Clarke, intitulée les neuf milliards de noms de Dieu. Il nous raconte ici son expérience, et le destin d’un court métrage comme on aimerait en voir plus.
« J’ai commencé il y a 7 ans, fin 2010. J’avais demandé les droits à l’agent littéraire d’Arthur C. Clarke à Londres, qui m’avait envoyé les contrats, et j’allais faire ce film avec une petite économie, moins de 10 000 euros. Il fallait donc trouver des décors gratuits, et on avait trouvé un temple bouddhiste qui correspondait en Bourgogne. Tout était prêt, mais 15 jours avant de tourner, le temple nous dit que finalement c’est impossible. Je commence alors à apprendre qu’il y a des problèmes d’abus de bien sociaux au niveau de la direction, des histoires de détournement d’argent et d’abus de faiblesse… En fait, on était tombés au moment où le directeur responsable de ces abus était en train de se faire virer. J’ai un peu une philosophie qui veut que si un projet ne se fait pas, c’est qu’il ne devait pas se faire. »
Déçu et dégouté de constater qu’il pouvait exister des abus de ce type dans un temple bouddhiste, Dominique a laissé tomber le projet. Mais l’histoire n’était pas écrite pour se finir ainsi.
« C’est tellement dur de monter un projet, de monter une équipe, qui soit en plus bénévole, qu’on a du mal à imaginer comment rebondir quand tout s’écroule. Après cette mésaventure, j’ai fait du documentaire, de la pub, du clip. J’ai fait notamment deux documentaires pour Planète, un sur la montagne de Bugarache, qui a attiré beaucoup de mythes et légendes à travers l’Histoire, et un autre sur les gens qui font de la télépathie avec les animaux.
Finalement, après des années, je me suis rendu compte que je n’avais pas fait de fiction depuis que j’étais sorti de l’école de cinéma (l’ESRA), et je me suis dit qu’il faudrait que je fasse un court-métrage dans des conditions professionnelles, pour montrer ce que je pouvais faire, parce que je veux faire du long-métrage, et il fallait absolument que je puisse montrer ce dont j’étais capable. »
J’ai eu énormément de chance, parce qu’au moment du tournage, il y avait une retraite, en présence de véritables moines tibétains.
Et ainsi le projet des neuf milliards de noms de Dieu est revenu dans la course. Mais c’était encore loin d’être gagné. Le projet étant ambitieux, il a fallu trouver des astuces pour réduire les coûts au maximum. Se tourner vers un financement participatif pour permettre au projet de voir le jour s’est imposé assez logiquement.
« Avec KissKissBankBank, on a levé 6 000 euros, et au final ça a coûté pas loin de 10 000 euros. Une des raisons qui m’a fait me tourner vers le crowfunding, c’est que je voulais tourner en anglais. Si j’avais voulu tourner en français, j’aurais sans doute fait le chemin classique passant par une société de production, essayé de récupérer des aides du CNC, des régions, avec un peu de chance une chaine de télévision. Mais de toute façon, ça aurait été compliqué en partant sur de la science-fiction, et ce n’est pas le genre de sujet sur lesquels on décroche facilement de l’argent public. »
Le crowdfunding est un succès, et permet de lancer la production du film.
« On était une bonne vingtaine sur le plateau. Au début, les gens du temple dans lequel on a finalement tourné n’avaient pas bien compris ce qu’on ferait. Ils pensaient que ce serait du documentaire, et ne s’attendaient pas à nous voir débarquer avec nos deux gros camions, sortir les gros projecteurs, etc. Donc on a commencé par trois jours dans un temple en Normandie, que j’ai d’ailleurs trouvé via Facebook, grâce à Ian Kounen qui avait relayé le post pour KisskissBankbank. Et j’ai eu énormément de chance, parce qu’au moment du tournage, il y avait une retraite, en présence de véritables moines tibétains. Et c’était mon rêve, mais je n’aurais jamais eu le budget pour en faire venir, et là, coup de chance, non seulement ils étaient là, mais en plus ils ont tout de suite accepté de tourner dans le film. Donc on a pu les voir chanter de vrais mantras, exécuter de vrais rituels, et ça donne quelque chose d’évidemment plus immersif, un lien palpable avec la spiritualité, ce qui était mon envie depuis le départ. »
Et si ce sens du détail importait tant à Dominique, c’est parce qu’il a toujours été intéressé par l’ésotérisme, la spiritualité et le paranormal, comme le prouvent ses autres productions.
« Depuis toujours, le paranormal me passionne. Quand j’avais une dizaine d’années, je m’intéressais aux expériences de mort imminente, et j’essayais de sortir de mon corps, par exemple. J’avais déjà l’intuition que l’invisible existe, et qu’on peut communiquer avec ; je me posais des questions sur le sens de la vie, la mort. Plus tard, à l’école de cinéma, j’ai eu envie de faire des films sur ce genre de choses, mais il fallait des sujets plus consensuels. En tout cas, la spiritualité a continué de me suivre, que ce soit avec Bugarach, ou encore le livre Le matin des magiciens, dans lequel j’ai découvert cette fameuse nouvelle d’Arthur C. Clarke. Et c’est la bible de ce qu’on appelle le réalisme fantastique. Ce livre a été écrit par Jaques Bergier et Louis Pauwels, et parle aussi bien d’alchimie que des Nazis qui cherchaient des artéfacts et s’intéressaient à l’occultisme.
Cette nouvelle d’Arthur C. Clarke aborde plein de thèmes dans un temps très réduit. La nouvelle fait seulement 10 pages, alors ça tombait sous le sens d’en faire un court métrage. Et ça traite aussi bien de l’arrivée de la technologie dans notre monde (ce qui est toujours plutôt d’actualité avec l’arrivée du transhumanisme, qui pourrait nous amener à la fin du monde comme à des choses formidables en fonction de la façon dont on va utiliser ces technologies.) C’est pour ça que la fin d’Arthur C. Clarke me plaisait autant, parce qu’elle reste assez ouverte sur ce qui peut arriver après l’histoire. Et on voit une confrontation entre technologie et spiritualité. Et tout ça en seulement dix minutes de films, c’est ce qui m’intéressait. »
On peut ajouter que ce film n’est qu’un début pour Dominique Filhol, même si c’est déjà une belle réussite en soi.
« Ce film, je veux l’envoyer à Cannes, à Sundance, à Clermont-Ferrand, lui faire vivre sa vie de festivals. Bien entendu si des chaines sont intéressées pour le diffuser, ce serait génial, même s’il faudra sans doute renégocier les droits, qui sont pour l’instant adaptés à une exploitation en festivals.
En ce qui concerne la suite, j’ai beaucoup de projets, comme des idées de séries, ou adapter la nuit des temps de Barjavel en long métrage. »
Une ambition et un soin qui méritent qu’on s’intéresse de près à ce jeune réalisateur. Vous pouvez déjà visionner la bande-annonce, et constater l’attention qui a été portée à créer une ambiance particulièrement immersive. Bien que le film de genre ne soit pas très représenté dans le paysage cinématographique français, des films comme celui de Dominique Filhol sont la preuve que nous avons un véritable savoir-faire et des messages à transmettre par ce biais.