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Peter Jackson, que l’on ne présente plus, travaille depuis des années avec une équipe soudée, faisant preuve d’une fidélité à toute épreuve. Ses deux plus proches collaboratrices sont sans conteste Philippa Boyens et Fran Walsch, avec lesquelles il écrit et produit presque tous ses films ! Peter Jackson et Philippa Boyens sont venus à Londres pour nous rencontrer à propos de Mortal Engines, et bien entendu, nous parler de ces années de collaboration, et sa rencontre avec Christian Rivers, réalisateur de Mortal Engines.

Comment l’aventure Mortal Engines a-t-elle commencé ?

Peter Jackson : Nous avons a eu les droits du livre en 2008, parce que j’ai toujours plusieurs projets sur le feu. Puis est arrivé le Hobbit, et on ne s’y attendait pas, parce qu’on se battait encore pour avoir les droits, et soudain, on les a obtenus aussi ! Alors on a mis dans un tiroir le projet Mortal Engines, pendant 6 ans. Christian travaille avec nous depuis qu’il est tout jeune, et il avait dirigé la deuxième équipe sur le Hobbit. Je trouvais qu’il faisait du très bon travail, et je pouvais voir qu’il avait l’ambition de passer à la réalisation, et après toutes ces années à avoir travaillé ensemble, j’étais heureux de l’aider à faire son premier film, et le timing a semblé plutôt évident avec Mortal Engines.

Qu’est-ce qui vous a plu en premier lieu dans cette histoire ?

Peter Jackson : J’avais lu les quatre livres, parce que Philip Reeve les avait déjà tous écrits à ce moment-là. Les livres suivent vraiment la vie entière de Tom et Hester, et il y a des personnages qui reviennent, des choses que l’on ne pourrait pas prévoir au début, et c’est ce qui m’a intrigué, tout particulièrement l’histoire de Tom et Hester.

Dans le film, même si l’aspect politique n’est que survolé, il y a une réplique : « Les enfants risquent d’être séparés de leurs parents », et ce n’était pas dans le livre, alors pourquoi l’avoir ajoutée ?

Philippa Boyens : Je crois qu’on avait du mal à croire ce qui était en train de se passer.

(NDLR : la crise des migrants)

Peter Jackson : C’est un ajout de dernière minute. Il y a six semaines, nous l’avons ajouté au mixage, en réaction à ce que l’on voyait aux informations.

Philippa Boyens : On a voulu écrire quelques lignes pour évoquer à quel point la situation pour ces réfugiés est difficile, ces gens à qui l’on a tout pris. Le livre prend un chemin que nous ne pouvions pas vraiment suivre avec le film, et on a cherché à ajouter quelque chose, même si c’était une simple réplique, qui venait s’ajouter aux pleurs des enfants.

Peter Jackson : C’est très difficile d’avoir un discours politique avec un film, parce que les films mettent des années à se faire, et on ne peut pas toujours suivre l’actualité. Et là, il y a six semaines, on a saisi l’opportunité d’ajouter cette ligne de dialogue, parce qu’on était vraiment en colère, avec tout ce qui se passait.

À un autre moment dans le film, on entend Taddheus Valentine, le personnage incarné par Hugo Weaving dire « l’Histoire s’en fiche ». Que pouvez-vous nous dire de cette réplique ?

Philippa Boyens : Quand on a écrit cette réplique, on pensait plutôt à l’idée que malgré tout ce que l’on peut faire pour rendre hommage à ceux qui sont morts, ça ne changera rien.

Peter Jackson : Ça veut un peu dire que nous ne devrions pas prendre de décisions en fonction de ce que les gens dans le futur en penseront, mais nous devrions tous nous inquiéter de ce que sera ce futur. Et tout ce qui arrivera dans l’avenir reflètera d’une manière ou d’une autre ce qui s’est passé avant. En tant que réalisateur, on essaye de prendre le contrôle des personnages, que ce soit à l’écriture, au casting ou autre, et on doit aussi se reposer sur eux. Le travail d’Hugo a été essentiel, parce qu’il ne voulait pas jouer un méchant. Il voulait jouer un personnage persuadé de faire ce qui est juste, et c’est ce qui se produit en général. J’imagine mal un gars se lever le matin et se demander « Tiens, qu’est-ce que je vais pouvoir détruire aujourd’hui ? ». Après, il y a toujours différentes motivations possibles, mais tout le monde pourrait devenir un méchant.

Mortal Engines, c’est une sorte de fable qui s’interroge sur l’avenir et le présent de notre société. Et c’est un avenir assez effrayant ! Est-ce que c’est quelque chose que vous vouliez faire passer dans ce film ?

Peter Jackson : Je ne m’implique que dans des films que j’aimerais voir, mais quand on regarde l’Histoire du Cinéma, on retrouve des motifs récurrents. Au début des années 30, avec la Grande Dépression, on on ne faisait pas le même genre de films que dans les années 50, et nous sommes à une période charnière où plein de choses vont mal, mais où on a à priori encore la possibilité d’arranger les choses, et là on trouve plein de films de super héros, et cette manière de regarder l’histoire à travers des paysages cinématographiques est très intéressante.

À quel point était-ce difficile de vous mettre en retrait, et de laisser la place de réalisateur à un autre ?

Peter Jackson : J’aurais pu le réaliser moi-même, et effectivement ça a été une décision importante à prendre, mais je savais où était ma place, et ayant vu des producteurs travailler avec moi, j’ai pu voir ce que j’aimais chez eux, et ce que je ne voulais pas reproduire. Du coup, j’ai traité Christian de la même manière que j’aurais voulu être traité en tant que réalisateur.

Et il n’y avait pas des moments où vous étiez tenté de prendre plus part à ce film en tant que réalisateur ?

Peter Jackson : Non, parce qu’on ne peut pas faire ça. Ce ne serait que de la torture pour rien, il vaut vraiment mieux se concentrer sur le reste. Le fait est que faire un film est un exercice difficile, et il faut le rendre le plus simple possible, pour le plus de gens possible. On voulait donc lui laisser faire son film et rester en dehors de sa route. Le premier film que j’ai fait, Bad Taste, est sorti en VHS en 1988, et la première lettre de fan que j’ai reçue vient d’un jeune garçon de 15 ans, qui m’a donc écrit, mais aussi envoyé des dessins de monstres, de dragons. C’était Christian ! Quelques années plus tard, quand j’ai cherché un story boarder pour un projet suivant, j’ai fait appel à lui parce que nous étions restés en contact. Donc je voulais réellement laisser Christian faire son film !

Vous l’avez toujours, cette lettre ?

Peter Jackson : Je l’ai sans doute, et je devrais essayer de la retrouver, même si c’est certainement dans une boite quelque part…

Philippa Boyens : Il ne jette rien !

Peter Jackson : Et surtout ma première lettre de fan, je n’aurais pas pu faire ça !

Christian Rivers et Hera Hilmar sur le plateau de Mortal Engines.

Avec le Seigneur des Anneaux, vous avez développé une énorme industrie, qui n’a fait que grossir. Est-ce que vous ressentez, un peu comme dans Mortal Engines, que vous devez « nourrir la bête » ?

(NDLR « nourrir la bête » est une réplique du film.)

Peter Jackson : On en a eu l’impression qu’on devait faire ça à une époque. Pour le Seigneur des Anneaux il n’y avait pas tant de monde que ça, finalement, une trentaine de personnes pour une trentaine d’ordinateurs, mais quand ça a été fini, on a cherché ce qu’on pouvait faire avec ces ordinateurs et continuer de donner du travail à ces gens. Mais rapidement, on s’est mis à travailler avec d’autres, et on s’est rendu compte qu’on n’avait pas besoin de faire des films pour « nourrir la bête ».

Vous avez consacré de nombreuses années de votre vie au Seigneur des Anneaux, puis le Hobbit. Est-ce qu’à un moment, ça a atténué votre passion pour le cinéma, ou le plaisir de faire des films ?

Peter Jackson : Pour le Hobbit, c’était un peu différent, parce que je faisais trois films en un, et c’est vraiment comparable à un marathon. Mais en fait, chaque film qu’on réalise, on le fait parce qu’on a envie de le voir sur l’écran ! Et l’esprit a une façon intéressante de se comporter : quand je regarde en arrière, il y a plein d’expériences pénibles du Seigneur des Anneaux dont je ne me souviens pas, et je ne garde que les bons souvenirs. En fait, je peux m’en souvenir, mais globalement, l’esprit les occulte et c’est comme ça qu’on peut continuer.

Qu’est-ce qui vous donne envie de continuer alors ?

Peter Jackson : Je crois que c’est toujours la même chose. On aime une histoire, une idée, un concept, alors on a envie de faire un nouveau film. Et encore une fois, on fait un film parce qu’on a envie de le voir. On n’a pas de feuille de route précise, on ne sait pas ce qu’on fera précisément dans cinq ans, ce serait horrible ! On ne voudrait pas imaginer partir un an sur un film d’horreur, puis sur un autre projet, que tout soit défini à l’avance, alors on fait plutôt l’inverse et on se laisse porter par les projets qui nous font envie.

Retrouvez aussi nos autres articles sur Mortal Engines :

La revue du film.

L’interview de Christian Rivers, réalisateur du film.

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Spécialité(s) :

Science-fiction - cinéma - littérature

Auteur de récits de science-fiction et d'aventure, Sylvain Nawrocki surveille essentiellement les actualités technologie, cinéma et littérature. Vous pouvez retrouver ses récits sur Amazon et quelques nouvelles sur son site : www.memoires-des-titans.fr

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