Entretien avec Christian Rivers, réalisateur de Mortal Engines, et collaborateur de Peter Jackson depuis plus de vingt ans. Découvrez ici une partie de son histoire, et celle de la fabrication du film Mortal Engines.
Il parait que vous avez écrit à Peter Jackson quand vous étiez jeune, et que vous avez même été littéralement son premier fan.
Christian Rivers : Il doit encore avoir cette lettre quelque part ! Vous savez, ça a été un peu une surprise pour moi de découvrir que j’avais écrit la première lettre de fan qu’il ait reçue. Il avait déjà réalisé un film et il avait déjà une certaine notoriété, et je voulais juste embarquer dans n’importe quelle aventure avec lui et faire des films. Donc oui, je lui ai écrit une lettre. Je n’avais pas le permis de conduire à l’époque, alors ma mère m’a conduit chez lui à Wellington pour la lui apporter, parce qu’à l’époque, il était dans l’annuaire. J’avais 15 ou 16 ans à ce moment, et on a correspondu pendant quelque temps, puis quand j’ai eu 18 ans, il m’a proposé un job.
Qu’est-ce qui a fait de vous un fan si rapidement ?
Christian Rivers : J’aime le cinéma populaire, j’ai grandi avec Star Wars, Les Aventuriers de l’Arche Perdue, et ce genre de films. Quand j’étais adolescent, avant l’arrivée de tous les effets en CGI, tous les effets se faisaient assez « facilement » ! Il s’agissait surtout de s’exercer, regarder ce qui se faisait, et suivre les avancées en maquillage ou autre. Et Peter Jackson faisait tout lui-même, il avait fait un film entier tout seul ! Ça, évidemment ajouté au type de films qu’il faisait, avec cet humour un peu fou, très audacieux et irrévérencieux. Il était le seul à faire ce genre de films en Nouvelle-Zélande. On avait aussi des gens comme Jeff Murphy et Vincent Ward, ayant fait des films qui s’étaient bien exportés, mais ce n’était pas le genre de films que j’appréciais tout particulièrement.
Devenir réalisateur, c’était votre but depuis le début ?
Christian Rivers : Je voulais juste travailler dans l’industrie cinématographique, et à l’époque je savais surtout dessiner, et j’avais regardé tellement de films que j’avais, je pense, une certaine compréhension du langage visuel. Mais c’est seulement quand j’ai vu Peter réaliser Brain Dead, que j’ai eu un déclic, et que je me suis dit que je voulais aller dans cette direction. Ensuite, ça m’a pris environ 25 ans (rires) ! Et beaucoup de gens m’ont souvent demandé pourquoi je ne commençais pas à faire mes propres films, et d’une certaine manière, je n’en ressentais pas le besoin. Je travaillais vraiment avec lui, et ça a été au final comme faire une école de cinéma pendant plus de 20 ans, et en explorant tellement de domaines. J’ai fait du story-board, puis je suis passé aux effets visuels sur Brain Dead, puis j’ai commencé à créer des créatures pour Weta Workshop pendant un moment, puis est arrivée l’époque des séries Hercules et Xena, où tout allait très vite. On imaginait et fabriquait les créatures du show, et à peine deux semaines plus tard, elles débarquaient sur le plateau ! Ensuite est arrivée l’ère digitale. Il a fallu évoluer et je suis passé au département animation. Finalement, c’est comme une sorte de puzzle qui s’est construit pièce par pièce, jusqu’à ce qu’on me confie des scènes à réaliser sur Le Retour du Roi. Il y avait alors sept équipes qui tournaient en même temps, et je dirigeais la deuxième équipe pour les effets spéciaux. On faisait essentiellement des écrans verts, des doublures, des cascades, pour les batailles, et ce genre de choses. J’apprenais en permanence, jusqu’à ce que j’arrive à saturation, après avoir dirigé l’équipe d’animation sur King Kong, mais je savais déjà que je n’allais pas en rester là. Alors j’ai supervisé les effets visuels sur Lovely Bones, et j’ai su que je ne voulais plus faire ça. On peut dire que j’ai eu beaucoup de chance de pouvoir faire tout ça.
Est-ce qu’on peut dire que vous volez de vos propres ailes, maintenant ? ou est-ce que Peter Jackson est toujours là pour vous tenir la main ?
Christian Rivers : Il m’a beaucoup aidé, mais il ne s’est jamais montré sur le plateau quand j’y étais, et m’a laissé filmer de la manière que je voulais. Là encore, on avait une deuxième équipe, et comme le script était mis à jour en permanence, on a eu besoin d’envoyer de plus en plus de scènes à tourner par cette deuxième équipe, et il est venu donner un coup de main, mais évidemment, on parlait de la manière dont je voulais réaliser ces scènes, et j’ai eu encore une fois beaucoup de chances de pouvoir compter sur lui. Au final, le film que vous pouvez voir aujourd’hui est réellement le fruit d’une collaboration entre Peter, Fran, Philipa et moi. Une sacrée aventure !
Est-ce qu’il vous est souvent arrivé d’être en désaccord avec Peter Jackson ?
Christian Rivers : Nous avons vraiment travaillé ensemble, et si on avait un point de désaccord, alors on tournait les deux versions, et regardions ce qui marchait le mieux une fois arrivé au montage. Mais nous n’avons jamais eu de grand point de désaccord. Bien sûr, nous n’avons pas la même sensibilité ! Lui, il aime toucher à l’absurde, et il essaye de repousser les limites, apportant un côté comique, ou plus d’action. Par exemple, quand Anna Fang tire sur le marchand d’esclaves, il voulait que le haut de son crâne vole, comme si c’était une perruque, et c’était plutôt drôle, voire comique. Alors on l’a tourné de manières différentes, et on a toujours la sensation de ce qu’il se passe, mais pas de façon aussi évidente. Mais bon, c’est le genre de chose qu’il aime bien essayer.
Peter Jackson fait partie des pionniers des effets spéciaux et des effets visuels, mais est-ce que vous ne pensez pas que ça peut prendre le pas sur le reste ?
Christian Rivers : En fait, c’est un peu le cas, mais les gens vont aussi au cinéma voir ce genre de films, pour voir ces effets. Pourtant, j’ai été clair sur le fait que je voulais un film qui soit porté par les personnages et l’aspect spectaculaire doit rester en retrait. On suit vraiment Tom et Esther – et bien entendu le reste des événements qui arrivent – mais on n’aurait pas mis de côté l’histoire juste pour mettre en valeur une prouesse technique. La seule exception que l’on puisse faire, c’est avec la scène d’ouverture, et là encore, elle permet de mettre en place les personnages que l’on va suivre ensuite. On aurait pu comme dans le livre voir simplement Londres à la poursuite de cette petite ville, et révéler seulement après la présence d’Esther dans la ville vaincue, mais on a choisi de le raconter à travers ses yeux. Alors d’un côté, on veut évidemment satisfaire le public venu voir un certain genre de films, mais je voulais vraiment rester proche de mes personnages.
Et ça ne rajoutait pas une certaine pression que d’avoir Peter Jackson derrière vous sur ce projet ? Vous auriez envie de faire un prochain projet sans l’avoir derrière vous ?
Christian Rivers : Bien sûr que ça mettait la pression, mais pas seulement. J’avais déjà un peu d’expérience avec de grosses équipes, parce qu’au final, la seconde équipe que je dirigeais sur le Hobbit, faisait la même taille que l’équipe principale de Mortal Engines, avec tout l’équipement nécessaire, des centaines de figurants, et une équipe de tournage vraiment complète. Mais là, il y avait toujours Peter derrière moi. Sur Mortal Engines, je n’avais pas l’impression qu’il était sur mon épaule, même si je savais qu’il serait là si j’avais besoin. Alors pas vraiment de pression de sa part, mais je ne voulais vraiment pas rater mon coup, et c’est de là que venait vraiment la pression, parce que toutes les décisions finales me revenaient.
Ça vous a fait quoi de diriger les acteurs, parce que ça faisait partie des choses que vous n’aviez pas tant fait que ça auparavant.
Christian Rivers : J’avais déjà fait un court-métrage, avec trois acteurs et plein d’animaux, et j’avais déjà pas mal travaillé avec les acteurs sur le Hobbit. Et j’ai beaucoup appris auprès de Peter. Et il m’a donné un très bon conseil, il y a bien des années : quand on arrive dans une impasse avec un acteur, et qu’on n’arrive pas à avoir exactement ce qu’on veut, certains réalisateurs sont tentés de tout décortiquer et tout expliquer. Mais au lieu de ça, il suffit de dire à l’acteur ce que le spectateur devra ressentir quand il verra la scène. Revenir à des choses simples, ce dont le public a besoin, ce dont le film a besoin. On peut dire aux acteurs comment jouer, mais en rester à ce que le public doit voir et ressentir permet de laisser les acteurs faire.
Vous connaissiez sans doute les illustrations faites par Pilipp Reeves, l’auteur des romans. Vous pensez avoir été proche de la vision qu’il avait des cités mobiles ?
Christian Rivers : Oui, il a aussi été illustrateur, et il avait tout décrit de manière très visuelle. Dans le livre, on touche plutôt à une esthétique steampunk, qui est en fait une réalité alternative, avec le futur tel qu’il serait, s’il avait évolué selon l’ère victorienne. Et pour ce que l’on voulait faire, un futur basé sur notre société actuelle, on ne pouvait pas coller complètement à l’idée steampunk, mais on ne voulait pas non plus dénaturer cette vision. Et c’était assez difficile en somme, mais quand je l’ai présenté au studio, j’ai proposé une sorte de triangle, avec Madmax, Star Wars et Harry Potter, et esthétiquement l’idée était de se trouver au milieu de ce triangle. On ne savait pas à quoi ça ressemblerait quand nous avons commencé, on devait trouver notre propre vision. On voulait garder cette esthétique ancien régime, mais on voulait justifier le fait que ça ressorte dans le futur tel que présenté dans le film, comme étant aussi notre futur. Notre époque actuelle est entièrement consignée sur disques durs, et si on devait être effacés de la surface de la Terre, personne ne saurait exactement à quoi on ressemble, quelles sont nos habitudes. En revanche, il resterait sans doute des vestiges de l’ère victorienne, et c’est peut-être ce qui définirait notre manière de nous habiller dans l’avenir. Pareil avec le métro londonien, ça paraissait logique de mettre en avant des lieux historiques et d’importance culturelle, comme Trafalgar Square. À un moment, on avait même un design qui mettait vraiment en valeur les lignes du métro, mais on arrivait à quelque chose qui ressemblait presque trop à du Terry Gilliam. Mais on serait ravis de ressusciter ce genre de concept-design pour un autre film, si on vient à en faire d’autres. On a aussi eu la chance de pouvoir imaginer une partie des décors en post production, compte tenu de la place des éléments en CGI dans ce film.
Vous regrettez l’époque où il n’y avait pas tant d’images de synthèse ?
Christian Rivers : J’adore les modèles réduits. C’est fou de les regarder, et de se sentir comme un géant à côté du décor, mais en l’occurrence, on ne pouvait pas faire tant de miniatures que ça, parce que tout devait être articulé, en plus d’être très détaillé. En fait, on en a discuté au début, et on savait à quel point ça aurait pu être génial, mais on aurait été très limités dans les mouvements de caméra, etc. Sur Le Seigneur des Anneaux, c’était parfait, parce que c’étaient des miniatures immobiles. Là, c’était vraiment plus cohérent de les réaliser en images de synthèse. Mais je suis pressé de voir ce que donneraient des versions LEGO (rires).
Quelle partie de la fabrication de ce film avez-vous préférée, en tant que réalisateur ?
Christian Rivers : En fait, c’est le montage que je préfère. Sur le plateau, il y a une pression énorme : il faut tourner tous les plans tout en les faisant les plus intéressants possible, travailler avec les acteurs, et pendant le tournage, il est difficile de voir si tout se passe comme on l’imaginait et si ça fera vrai. Mais en montage, on ne fait que réagir. On regarde les plans tournés, et c’est un moment où je me sens plus efficace pour raconter une histoire. Et puis dans la salle de montage, il n’y a pas des centaines de personnes qui attendent de vous la moindre décision. C’est là que l’histoire prend vraiment forme.
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