Le personnage qu'est Miyamoto Musashi peut sembler inconnu pour une majorité de la population occidentale, et pourtant...
Cette figure iconique de l’ère Edo est surtout inscrite dans le marbre de l’histoire japonaise comme celle d’un être ayant vagabondé à travers le pays pendant près de quarante années, parti de son village avec pour seul objectif de devenir l’un des plus grands sabreurs de son temps.
Que ce soit sa philosophie ou son apprentissage auprès des grands maîtres du sabre, tout cela aura été développé et romancé au fil des années par le biais de romans (le plus célèbre étant celui de Eijii Yoshikawa que l’on connaît sous le nom de La Pierre et le Sabre), de films, de pièces de théâtre… et bien sûr de mangas.
Celui dont je vais vous parler s’inspire librement de la vie de cet homme tout étant capable de synthétiser toute l’aura spirituelle et les connaissances que cette légende aura su insuffler durant l’ère Edo.
Ce manga, c’est Vagabond, de Takehiko Inoue. Long de 38 volumes, il narre donc l’ascension de Musashi, de ses origines modestes jusqu’à son affirmation parmi les plus forts, avec sur son chemin de nombreuses rencontres.
L’audace puérile dont fait d’abord preuve le personnage peut laisser songeur, tant la narration fait penser aux poncifs de tout bon shônen qui se respecte : une quête de puissance pour devenir le meilleur, cela ne date pas d’hier comme objectif. Mais c’est là qu’intervient la subtilité de Vagabond par rapport à tout ce qui se fait en manga à l’heure actuelle sur les contes de cape et d’épée traditionnels : le mangaka Inoue est un grand architecte.
Un architecte des émotions, dressant par exemple, avec un soin méticuleux, une personnification de la peur elle-même dans les instants les plus sombres d’un combat entre deux sabreurs durant un tome d’anthologie.
Mais aussi un architecte du temps, arrivant à l’étirer dans des moments de concentration intense avant le coup mortel. Les sentiments jouent un rôle clé dans l’immense œuvre qu’est Vagabond, et chaque planche est une nouvelle preuve d’à quel point ils transparaissent dans chaque coup porté, chaque réplique lâchée, chaque geste esquissé… Car que serait une quête sans son lot de spiritualité et de questionnements divers ?
Ce talent à retranscrire avec un niveau de détail indécent l’aspérité des arbres environnant comme à produire des créations picturales coloriées qui donnent aisément le vertige, ne sont finalement qu’une bien faible représentation des capacités extraordinaires de Inoue à mettre en scène la vie d’un homme ainsi que ses questionnements.
L’une des autre force du manga, c’est aussi de prendre son temps pour développer chacun des personnages évoqués, de leur donner corps et objectifs, et de dépasser le stade de rôle fonction. Si chacun rencontrera Musashi à un moment clé de son existence, Inoue ne lésine pas sur l’usage des flashbacks ou de simples digressions (parfois longues de six volumes pour introduire un personnage), quitte à briser un arc narratif en deux.
Mais cela incorpore une épaisseur à ce lot de samouraï en quête d’idéal, de paix intérieur, de but dans leur existence ou bien d’adversaires à vaincre.
Musashi, à la manière de ces épéistes d’un autre temps et d’autres mœurs, fait partie de cette valse d’âmes esseulés à la recherche de ce qui fera le comble de leur vie , souvent passée à vaincre par le sabre, ou en périr.