Souvent – et à juste titre – on reproche à Netflix son obsession à scruter nos comportements, ce qui mène parfois à des productions trop formatées et creuses. Mais il faut aussi reconnaître à la plateforme cette propension à ouvrir son catalogue à des univers et des créateurs indépendants qui ont des choses à dire sur leur époque. C’est le cas lorsqu’ils décident d’adapter l’auteur us de BD indépendant Charles Forsman édité en France par le très bon éditeur L’employé du moi. Nous lui avons posé quelques questions afin de mieux le connaître et vous donner envie d’abord de découvrir les bandes dessinées qui ont inspiré ces séries.
Vous êtes publié en langue française principalement par L’employé du moi, pouvez-vous nous raconter comment est née votre collaboration avec cet éditeur indépendant belge ?
J’ai d’abord rencontré Max de Radigues quand j’étais étudiant au Center of Cartoon Studies, dans le Vermont. C’était en 2008. Il participait à un programme d’échange. On est devenus potes et il m’a beaucoup appris. Max co-dirige L’Employé du Moi. C’est comme ça que j’ai fini par être traduit en français.
D’où venez vous ? Racontez-nous l’histoire derrière Oily Comics et comment faire quand on veut devenir dessinateur dans le Massachusetts ?
Je suis né et j’ai grandi à Mechanicsburg, en Pennsylvanie. Après quelques années à ne rien faire, j’ai déménagé dans le Vermont pour suivre des études de dessin et je me suis installé dans le Massachussetts avec ma compagne, Melissa Mendes, qui est aussi dessinatrice. J’ai lancé Oily Comics, une microstructure dont je me suis occupé pendant deux ans et quelque, quand j’ai démarré TEOTFW en mini-comics. C’est Max qui m’a inspiré ce format noir et blanc que je vendais 1 dollar. Ça m’a appris à reprendre plaisir à dessiner des comics. Je voulais faire un truc rapide et pas cher qui me permettait de ne pas me concentrer exclusivement sur le dessin. J’ai rapidement demandé à mes pairs de faire des comics à ce format, et c’est comme ça qu’est né Oily Comics.
Qu’est-ce que ça signifie aujourd’hui, de vivre en tant qu’artiste indépendant ?
C’est toujours un peu angoissant, mais ça fait dix ans que je n’ai pas besoin de travailler à côté du dessin, donc l’anxiété diminue. Comme je n’ai pas d’enfant, ça aide, aussi. Je ne sais pas si j’aurais pu continuer à faire mes comics si j’avais eu une famille à charge. La vie dans un monde néolibéral est hors de prix. Franchement, je ne sais pas comment les gens s’en sortent.
Vous avez travaillé avec Max de Radigues, un des éditeurs de L’Employé du moi, et qui semble être une sorte d’alter ego partageant vos centres d’intérêt et ce ton unique pour raconter des histoires avec des personnages de jeunes adultes.
Oui. Max et moi avons à peu près le même âge et j’ai l’impression que c’est mon mentor à maints égards. En travaillant avec lui, et en le regardant travailler, j’ai commencé à m’intéresser à l’histoire plus qu’aux belles images et la perfection graphique. Max m’a transmis un mantra que je me répète tout le temps : « la prochaine page sera meilleure». Et ouais, on raconte des histoires d’adolescents. Je crois que ça nous obsède tous les deux.
Pouvez-vous nous en dire plus à propos de Hobo Mom et comment vous l’avez écrit à quatre mains ?
C’est un bouquin intéressant. Pour commencer, Max fait partie des quelques dessinateurs à qui je pourrais faire assez confiance pour démarrer un comics avec lui. Nos styles se mélangeaient bien et quand je regarde le produit fini, j’ai l’impression que c’est un troisième dessinateur qui l’a dessiné. On s’y est pris comme ça : chacun a sorti une version de l’histoire, puis on a composé les pages finales sur ordinateur, puisqu’un océan nous séparait. Je crois que je l’ai dessiné et peut-être encré, mais c’est le produit de plusieurs allers-retours entre nous.
Récemment, deux de vos romans graphiques ont été adaptés sur Netflix : The end of the fucking word et I I am not ok with this. Comment vous ont-ils contacté et avez vous collaboré à ces adaptations ?
Jonathan Enstwistle s’intéressait à TEOTFW avant même que Fantagraphics ne sorte un recueil des mini comics. Il m’a contacté en me disant qu’il voulait en faire un film, un truc comme ça. J’étais un peu sceptique, mais il m’a convaincu et j’ai vu qu’il était bon. Ça a pris du temps, mais Jon est déterminé et il a réussi à monter la série. Et du coup, il a eu l’occasion d’adapter I Am Not Okay With This.
Qu’est-ce qui les a amené à faire ces adaptations ?
C’est grâce à Jonathan, qui a trouvé mes comics et a réussi à en faire quelque chose. Je n’ai pas initié ces adaptations. Je ne suis pas devenu dessinateur pour faire de la télé. Mais c’est une chance et ça m’a permis de vivre un peu plus confortablement que ce que j’aurais imaginé autrement.
Pouvez vous nous en dire plus sur Jonathan Entwistle ? Qu’est-ce qui l’a amené à travaillé sur vos romans graphiques ?
Il vient du nord de l’Angleterre, et je crois qu’il cherchait des projets à adapter. Il est tombé sur mon comics dans une boutique à Londres et il m ‘a contacté. On en a parlé, il m’a inspiré confiance et on a commencé à bosser sur la série.
Le ton est très différent dans la version Netflix de I am not ok with this. Que pensez vous de ces changements ?
J’ai toujours demandé à tous les gens impliqués sur la série, à commencer par Jon, de faire un beau truc. Je ne veux pas qu’ils prennent les comics pour un objet sacré. Je trouverais ça terriblement ennuyeux qu’ils en sortent une copie conforme.
Vous ont-ils dit si une deuxième saison était prévue ?
Pas encore. Je crois que la Covid-19 a pas mal ralenti les choses à Hollywood.
J’aime beaucoup le look de Sidney, qui me rappelle Olive dans Popeye ; est-ce une de vos références ? Comment avez-vous travaillé son apparence ?
Ah ouais, je suis très influencé par E.C. Segar, le créateur de Popeye et de Thimble Theatre. J’adore l’aspect vaudeville de ses strips. J’ai essayé d’insuffler un peu de son énergie dans mon bouquin. Je voulais que Syd soit une ado maigrelette et Olive Oil me semblait être un bon modèle.
Votre vision actuelle du « young adult » n’est pas très positive ; y a-t-il une un sentiment de No Future qui se répand à travers la génération des millenials, selon vous ?
Mmmh, je suis un vieux Millenial. Je fais vraiment partie de la frange la plus vieille des Millenials. Mais je suis un enfant des 80’s et des 90’s. Ces décennies m’ont vraiment forgé. Je suis bien plus Kurt Cobain que Club Mickey. Mais je dirais que je dois mon point de vue sur cette époque à mon expérience. J’ai vécu la mort assez jeune et j’ai grandi plus vite que mes pairs. J’ai souffert de dépression. La dépression et les crises d’angoisse rongent encore les adolescents. C’est toujours le cas aujourd’hui.
Le confinement se retrouve partout dans le monde. Comment vivez-vous cette période particulière ? Qu’est-ce que ça vous inspire en tant que créatif ?
Je vis plutôt bien mon confinement. Ça ne me change pas beaucoup. Je sors beaucoup moins de la maison, c’est tout. On vit dans une petite ville, à la campagne. Si cette période se ressent dans mon travail, ce ne sera probablement pas conscient. Si elle s’y infiltre, ce sera à mon insu.
Y a-t-il des artistes Européens que vous aimez lire ?
J’aime beaucoup Christophe Blain, Joe Munoz, Nicolo Pellizon, Vitt Moretta et une tonne d’autres auxquels je ne pense pas forcément là.
Qu’avez vous lu récemment ?
Je ne suis pas un gros lecteur parce que j’ai un gros problème d’attention, donc je regarde plutôt des films. J’ai enfin vu Bienvenue dans l’Âge Ingrat, qui est génial. Je ne sais pas pourquoi, je l’avais détesté à la sortie sans même l’avoir vu. Je crois que j’essayais de me la jouer cool. Trop cool pour ce truc. Mais c’est un super film. Je suis content d’avoir passé le cap. Je viens aussi de voir La Dame de Shanghai, un vieux film d’Orson Welles dans lequel il prend un accent irlandais à couper au couteau. Et le film a une bonne galerie de personnages bien barrés. Puis Rita Hayworth est fantastique, comme toujours.
Êtes-vous connecté à vos lecteurs via internet ? En tant que créatif, comment appréhendez-vous les outils comme Instagram ? Pouvoir joindre un public à l’échelle mondial est-il bénéfique pour la création aujourd’hui ?
Je suis assez actif sur Instagram. J’aime bien ce réseau social parce qu’il est plus visuel et je peux y publier des dessins. Mais je ne compte pas dessus pour vendre des comics. Les réseaux sociaux, c’est super, et ça permet de faire connaître plein d’artistes, mais c’est très difficile de transformer l’essai pour se mettre à en vivre.
Pouvez-vous nous parler de vos futurs projets ?
Je pourrai seulement vous parler d’un comics sur lequel je bosse, qui s’appelle Automa. C’est une histoire de cyborg qui voyage dans le temps. Je suis super fan de Terminator, et je voulais faire un truc dans ce goût.