Entre caricatures et tabous, ceux qui en parlent n’importe comment et ceux qui n’en parlent pas du tout, la transidentité fait partie de ces sujets difficiles à aborder parce que souvent mal compris. Et si on essayait d’en parler ? et si possible, en essayant de ne pas dire n’importe quoi !
Tout d’abord, il va nous falloir poser quelques bases. La transidentité est un sujet qui existe depuis toujours et en plusieurs endroits du globe, qu’il soit admis d’en parler ou non. On peut se référer aux êtres aux deux esprits des natifs américains, aux adorateurs de la déesse Cybèle dans la Grèce antique, ou encore aux akava’ine des îles Cook. À travers l’histoire et les cultures, on a plus ou moins bien admis le fait que certaines personnes pouvaient se sentir d’un genre différent que celui qui leur a été biologiquement assigné à la naissance. Et pour cause, il faut admettre que ce n’est pas le genre de chose facile à se représenter pour quelqu’un qui n’est pas directement concerné par cette question. Le fait que je sois un homme cisgenre hétérosexuel m’interdit-il d’écrire sur le sujet ? Je crois au contraire qu’il est important que je le fasse, justement parce que je voudrais mieux comprendre et estomper les barrières sociétales qui peuvent encore exister dans l’esprit de beaucoup, et qui donnent lieu à des discriminations et une douleur intolérable pour ceux qui les subissent.
Pourquoi c’est important ?
Bien entendu, rien que le fait de vouloir diminuer des persécutions devrait être une raison suffisante pour briser les tabous. Parce qu’à travers des témoignages, on se rend compte que même le corps médical, censé être le plus indiqué pour aider les personnes en souffrance, n’est pas toujours bien formé ni informé sur la question. Et pourtant, on peut même trouver d’autres raisons. Parlons un peu culture. La culture populaire est le miroir de notre société. Pourtant, c’est un miroir un peu vicieux, dans lequel tout ne se reflète pas forcément. Ou partiellement. Et certaines œuvres, sans nécessairement traiter du sujet au sens strict, pourront pousser le spectateur à se poser des questions. En ce qui me concerne, ça a été le cas avec Crisis Jung dont nous parlons dans le numéro 25 de Geek Magazine. La série animée ne traite pas de transidentité, mais évoque l’approche jungienne qui présente notamment chaque genre, masculin et féminin, comme renfermant en lui une part de l’autre genre, qu’il faut parvenir à accepter. Le héros, lorsqu’il est en détresse, se laisse épisodiquement envahir par sa part féminine pour trouver la force de combattre ses ennemis, jusqu’à se transformer physiquement façon super saiyan. On trouvera aussi d’autres occurrences, comme le personnage de Marie-Madeleine, dont le genre n’est pas ouvertement défini, ou celui d’un homme, qui parce qu’il y a trop de papas dans un village, va devenir une maman ; pour ce faire, il lui suffira de nouer un foulard autour de sa tête comme c’est la coutume dans cet univers. On pourra alors lever un énorme panneau STOP, en expliquant que la transidentité va au-delà de ça ; et pour cause, on a bien précisé que ce n’était pas le sujet. Par ailleurs, le traitement des personnages qui sont incapables de second degré – alors que la série est truffée de sous-texte – incite le spectateur à prendre beaucoup de recul sur ce qu’il voit. Donc d’une certaine manière, une œuvre comme celle-ci peut faire partie d’un parcours initiatique à l’attention de son public vers une meilleure compréhension de l’autre ; rien qu’à travers la démarche qui consiste à s’intéresser à lui.
Et si on prenait l’approche jungienne à l’échelle d’une société, plutôt que de l’individu, et qu’on invitait cette société à regarder en elle-même ? Tout comme une personne en pleine introspection, elle pourrait identifier des éléments qu’elle ne comprend pas bien, et devrait y réfléchir. Si elle prête suffisamment l’oreille à ce que lui disent ces éléments qui la constituent profondément, peut-être finirait-elle par être capable de les entendre vraiment, à les comprendre, et les accepter pour ce qu’ils sont.
En effet, nous avons qualifié les questions sur la transidentité de tabou, et c’est sans doute un des nœuds du problème qu’est l’incompréhension d’une grande partie de la population : comment pouvons-nous comprendre un sujet dont on ne parle pas ? Heureusement, la société change, et la parole se libère peu à peu à mesure que les mœurs évoluent, notamment grâce au combat de plusieurs associations, et de certains artistes qui osent.
Quelques références
Après les exemples historiques et géographiques que nous avons cités plus haut, il est temps de replacer la transidentité dans notre époque. Il existe sur Sens-Critique une liste de 23 films traitant de la transidentité, parmi lesquels on peut citer Boys don’t cry de Kimberly Pierce (1999), Transamerica de Duncan Tucker (2006) ou Girl de Lukas Dhont, et qui sort en octobre 2018. Sophie Labelle, enseignante québécoise, publie depuis 2014 une bande dessinée intitulée Assignée Garçon sur Tumblr. Elle y décrit des situations du quotidien où les questions sur le genre sont au centre des préoccupations. Toujours en bande dessinée, on peut citer Mondo Reverso, premier western transgenre par Arnaud Le Gouëfflec et Dominique Bertail, dont les graphismes sont par ailleurs magnifiques.
On pourra bien sûr trouver d’autres exemples qui montrent que beaucoup sont prêts à mettre en avant ces questions qui se doivent d’être soulevées par la culture populaire. Et j’insiste sur l’importance de la culture populaire dans un sujet qui concerne l’ensemble de la population. Car oui, même ceux qui ne sont pas directement concernés se doivent de mieux comprendre. On constate tous les jours, malgré une information plus qu’abondante sur l’égalité entre les humains, quel que soit leur sexe ou leur couleur de peau, que les mentalités changent lentement, et que subsistent des formes de discriminations qui touchent toutes les minorités. « Et ça parait bête à dire, mais il serait important de simplement dire que nous sommes des êtres humains, nous aussi » m’a confié une femme transgenre avec qui j’ai discuté pour écrire cet article.
Les références qui trompent…
On ne dira sans doute jamais assez que le porno est la vision d’une réalité ultra déformée par les fantasmes, parfois poussés à l’extrême. La preuve : certaines personnes ont du mal à faire la différence. Faut-il forcément condamner ces productions ? Non, mais il est important de faire la part des choses. Ainsi, on peut prendre pour exemple le futanari. Ce mot sert traditionnellement pour désigner une personne hermaphrodite, et a pu désigner aussi des personnes intersexes ou travesties, selon les époques. Depuis les années 1990, il désigne par extension un genre pornographique, qui met en scène des femmes dotées de pénis souvent disproportionnés, particulièrement dans les hentais. Le fait que mot revêt plusieurs significations en fonction des époques montre bien notre capacité à tout mettre dans le même sac. Et tant que cela reste des lubies lubriques, pourquoi pas ? Après tout chacun son truc. En revanche, comme c’est souvent le cas dans les problèmes de discrimination, le danger réside dans l’amalgame.
Pour beaucoup, il y a méprise entre les différents termes utilisés pour traiter les notions de genre. Voire les concepts qui y sont liés. Par exemple, nous venons de parler de porno. Mais la question de transidentité n’est pas liée à l’attirance sexuelle ni à des fantasmes, mais à un sentiment profond d’appartenir à l’autre genre. Que l’on impute à l’auteur de s’être mal exprimé, ou au spectateur d’avoir mal interprété le message, il convient de redonner les bons points de repère afin que tout le monde s’y retrouve et se comprenne. Un amalgame fréquent revient à confondre travestis et transexuels. Et pour être tout à fait juste, il faut ajouter que les termes liés à la question de genres sont très nombreux, et que s’y retrouver prend du temps et demande des efforts. D’autant plus que cela touche à ce qui constitue profondément une personne, et qu’au-delà d’être un sujet sensible, il est aussi par essence complexe.
Ouverture
Nous avons évoqué plusieurs fois le rôle de la culture populaire, et ce que celle-ci pouvait apporter aux débats de société. Nous pouvons aussi nous demander combien de fois, la culture populaire a eu l’occasion d’être à l’avant garde, et de défendre des causes essentielles au bon développement de l’humanité. Bien que la notion de transidentité ne soit pas nouvelle, il faudrait être aveugle ou de mauvaise foi pour ne pas voir que cela fait actuellement partie des sujets importants, qu’il ne faut plus négliger.
Je ne suis pas un fana des étiquettes et encore moins des textes qui nécessitent un décodeur pour être lus. D’autant que cette liste est non exhaustive, et qu’il existe beaucoup de termes, plus ou moins reconnus, qui définissent d’autres situations plus ou moins répandues. Vous comprendrez que je me sois limité aux termes les plus connus (bien que tout le monde ne sache pas toujours à quoi ils correspondent…) essentiels à l’approche de cet article.
Lexique
L’assignation sexuelle (ou type sexuel) est le sexe biologique de la personne, déterminé à la naissance en fonction du développement des organes génitaux.
L’identité de genre est le genre auquel une personne ressent profondément appartenir.
L’identité sexuelle, ou orientation sexuelle, désigne l’attirance d’un individu pour d’autres personnes.
On parle de transidentité lorsque la personne ressent une identité de genre différente de celle qui lui a été assignée. Cette personne est alors transgenre, et pas transexuelle, qui est un terme daté, et qui peut être pris comme une insulte, car souvent utilisé autrefois pour désigner une maladie.
L’intersexuation désigne des personnes nées avec des caractéristiques sexuelles anatomiques ou chromosomiques qui ne correspondent pas aux définitions typiques de « mâle » et « femelle ».
Cisgenre est le mot utilisé pour parler des personnes dont l’identité de genre est identique à leur assignation sexuelle.
Transgenre est à l’inverse une personne dont l’identité de genre est différente de l’assignation sexuelle.
L’expression non-binaire est utilisée pour qualifier une personne dont l’identité de genre n’est ni masculine, ni féminine.