Un an. Cela fait très exactement un an que le mangaka Kentaro Miura est décédé, laissant derrière lui la plus grande et ambitieuse œuvre de dark-fantasy jamais conçue. Aujourd'hui, nous lui dédions ces quelques mots.
Berserk, c’est le diamant noir de Kentaro Miura, dont il a farouchement et proprement poli chacune des faces avec une perfection maladive. En créant doucement, mais sûrement, un lore dont il façonne les moindres angles avec un niveau de détail démentiel, il dépeint avec soin l’âge sombre, l’obscurantisme crasse et les créatures infernales qui se déversent sur son univers moyenâgeux.
Mais comme toute pièce dont on souhaite peaufiner l’aspect jusqu’à effleurer, atteindre voire même embrasser la perfection, cela ne se fait pas sans un tribut. Entre autre, celui du temps qui passe et de l’énergie phénoménale déployée par Miura pour toujours améliorer la qualité de ses dessins. Et c’est dans un contexte de deuil que je délivre ici un avis, ou plutôt une lettre d’adieu à une oeuvre majeure et à un créateur passionné. En effet, même si le manga vient à continuer, il n’empêche que l’œuvre ne sera jamais celle que l’on aurait pu, dans un futur alternatif, connaître.
Chassons donc tous ces “peut-être” pour mieux nous concentrer sur l’immensité de Berserk, des origines du chef de la troupe de choc du Faucon jusqu’à sa plongée dans des folies abyssales durant l’éclipse, pour enfin se tourner vers des horizons brumeux et lointains sur une certaine île remplie d’elfes. Si les débuts sont déjà de bonne facture, les relire après avoir découvert les quarante volumes composant l’héritage de ce mangaka nous ferait presque souffler du nez.
En effet, les inspirations majeures que sont Gustave Doré et Hyeronimus Bosch ne se dévoilent pleinement qu’aux alentours du tome 10, pour ensuite exploser à notre visage vers le tome 24, et dès lors c’est un véritable déluge de double-pages dont la composition sous forme de tableau nous donne le vertige. Via une mise en scène librement inspirée de celle de Doré, où une simple case suffit à être plus éloquente et condensée qu’un tome entier, nous sommes mis face aux problèmes et aux tourments d’un Guts lié malgré lui à la douleur et à l’enfer : l’être sur le seuil.
La composition et le niveau de détails sont ironiquement la source de ce qui aura finalement abattu notre mangaka, car ces deux éléments atteignent ici une qualité tout bonnement exceptionnelle et maladive. Bon nombre de double-pages sont tout simplement de véritables œuvres d’art.
Quand bon nombre d’auteur userait du coup de crayon façon croquis, en dessinant des scènes contenant de nombreux protagonistes, lui s’en contrefiche et apporte un niveau de soin équivalent à chacun. Ce soin maladif, cette volonté de vouloir atteindre la sacro-sainte perfection, tout cela se ressent à chaque esquisses, et il en devient presque criminel de ne pas s’attarder dessus, ne serait-ce qu’une poignée de secondes.
En ce qui concerne le fameux point culminant de l’œuvre, genèse d’un être brisé et d’un monde en proie au chaos, ce n’est pas seulement une maîtrise d’un point de vue graphique, mais aussi scénaristique.
L’évolution des relations entre Guts et Griffith est, à mon sens, jalonnée de dialogues extrêmement bien écrits, où se côtoient autant de questionnements sur la charge lourde de vivre aux côtés d’un homme aux ambitions écrasantes que de visions, enfantines mais touchantes de la part de Guts envers les rêves de ses camarades.
Et ces dialogues sont encore plus impactants quand on appréhende ce qui arrivera ensuite, même si l’on ne sait pas quand. Touchant toujours juste, drame, action et humour ponctuent l’ensemble de l’oeuvre pour laisser une certaine légèreté flotter par instants.
Pour autant, cette ascension de violence et de folie qui atteint son paroxysme durant la conclusion de l’éclipse au tome 13 semble après coup s’atténuer pour, au moment du cycle de Falconia, trouver un rythme presque apaisé, avec notre héros en bonne compagnie. À cela s’ajoute que l’aspect à la base assez historique de l’œuvre finit par fusionner avec un lore bien plus axé Fantasy, merveilleux et féerique.
Nous nous satisferons malgré tout de voir enfin, d’une certaine manière, notre héros heureux et en paix avec lui même. Reposez aussi en paix, Monsieur Miura.