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Il y a bien longtemps, dans une galaxie lointaine, très lointaine... les rôlistes étaient en guerre pour savoir quel était le meilleur système de jeu. Puis l'équilibre revint et une grande évidence s’imposa : le meilleur système de jeu est celui qui est le mieux adapté à son univers de jeu.

Car voilà, s’il est évident que le scénario raconte l’histoire vécue par les personnages, si le background de l’univers de jeu fourni des thèmes de fond en lui apportant un contexte et des significations. Les mécaniques spécifiques d’un jeu lui apportent du sens, le système raconte lui aussi un quelque chose.

Ainsi dans toutes les versions de Donjons & Dragons la caractéristique fondamentale est l’évaluation des protagonistes et de leurs puissances en « niveaux ». Les mécaniques du système de Donjons & Dragons expliquent, décrient et codifient cette  montée en puissance des personnages car c’est précisément ce que raconte des aventures types de DD : la genèse de héros légendaires, l’apparition de héros providentiels sauveurs de mondes. C’est ce que raconte le système en lui-même qui transforme le péquin moyen de niveau 1 en un surhomme homérique de niveau 20 apte à trucider des dragons à la chaîne.

En cela le système de Donjons & Dragons est particulièrement adapté pour raconter des histoires épiques où de jeunes aventuriers plein d’idéaux (ou pas) combattent les monstres et repoussent le mal. Nos héros de plus en plus expérimentés deviennent de plus en plus forts, sauvent le village, puis le pays et enfin le monde ! Il est tout autant possible de jouer une série d’aventure fondée sur des intrigues de luttes politiques, d’espionnage ou de séduction. Mais le système ne fournira pas beaucoup d’aide en ce sens. En effet les règles d’interactions sociales sont peu développées et il n’en existe tout simplement pas pour gérer les interactions entre factions rivales.

Pour cette raison, de nombreuses productions de jdr indépendantes se basent sur le D20 (le petit nom du système de règles de Donjons & Dragons) en y apportant les modifications nécessaires pour traduire une ambiance différente. C’est le cas d’Exploirateur de bruines de Vivien Féasson, où l’on incarne des enfants livrés à eux-mêmes dans un univers poétique et mortel. Leurs vies sont des fuites  en avant, une lutte contre les monstres et le temps, irrémédiablement et fatalement condamnés à l’échec.

Dans ce système de jeu les enfants parviennent toujours à réussir les actions tentées, il n’y a pas de jet de caractéristique ou de compétence. La question devient alors : y arrivent-ils haut la main, ou en y laissant des plumes et des points de vie ? Ce choix rend le jeu plus fluide et dynamique, impossible de bloquer la narration sur un échec, mais le prix de la réussite peut être mortel ! Une fois encore le système soutient une volonté du jeu, son ambiance et son message : vous pouvez toujours aller de l’avant, jusqu’à votre dernier pas, celui qui vous coûtera trop cher.

Cette correspondance entre règles et univers est constitutive de l’ambiance d’un jeu. Prenons par exemple Call of Cthulhu ou le beaucoup plus jeune Alien, chacun à leur manière des jdr d’horreur. Tous les deux proposent des règles pour traduire mécaniquement les instants d’horreur et d’angoisse que subissent les personnages pendant leurs aventures.

Dans ces deux univers de jeu la peur et la folie sont autant des menaces que les monstres tapis dans l’ombre. Il était donc indispensable que les joueurs puissent perdre le contrôle de leurs personnages quand ceux-ci craquent face à l’horreur. Ainsi la perte de contrôle du personnage sur lui-même devient la perte de contrôle du joueur sur son personnage, petite mise en abyme ludique où la peur de l’un devient le peur de l’autre !

Là encore la scène indépendante recèle quelques petits bijoux de folie ludique. Au registre des règles de mise en abyme le jeu Sens de Romaric Briand met la barre très haute. Dans ce jeu à mystères et révélations les personnages vont devoir combattre un déterminisme oppressant pour conquérir et affirmer leurs libertés, à l’instar des joueurs qui verront le système des règles de jeu évoluer au rythme de leurs autonomies, passant d’un carcan chiffré et imposé par le meneur de jeu à [alerte spoiler : une narration finale du jeu totalement entre leurs mains] !

Car enfin c’est bien cela qu’il faut avoir à l’esprit si l’on aborde le game design d’un Jdr, le moteur de jeu est une interface ludique entre les participants et leur univers imaginaire commun. Or il n’est pas neutre, en tant que contenant il influence le contenu ! La forme et le fond peuvent avoir sur ce plan imbrication extrême et nourrissante pour l’expérience de jeu. C’est ici tout l’enjeu d’un game design adéquat à un univers de jdr. Un système raconte par ses mécaniques la même ambiance et les mêmes thématiques que le background lui-même.

Les découvertes des vérités et enjeux de l’univers de Sens ne rajoutent pas des règles de nouveau pouvoir, elles transforme la base du système utilisé en jeu ! Or la transformation de notre rapport au monde par la compréhension qu’on a de celui-ci, c’est précisément le propos de Sens, et il le fait d’autant plus éprouver aux joueurs en transformant le système de règles qui est l’interface entre eux et leurs univers de jeu.

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Spécialité(s) :

Jdr, youtuberies, trucs et machins!

Dresseur de fourmis. Fondateur de l'Ordre du Saint Mont d'Or. Sculpteur sur glace vanille chocolat.

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