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2e partie de l'article sur le JDR alien par Sandy Julien.

Pour lire la première partie ça se passe ici

L’alien comme catastrophe naturelle !

Les xénomorphes d’Alien, comme ceux des trois premiers films de la franchise (les suivants s’éloignant peu à peu de ce principe), ne sont pas des créatures, mais des forces de la nature. Il n’y a pas de négociation possible avec eux, ils sont tellement « autres » (c’est le sens de leur nom !) qu’aucune communication n’est envisageable : au mieux on finit par être assimilé par eux pour devenir porteurs de leur progéniture, un répit aussi bref qu’inconfortable.

Les mécaniques du jeu incarnent élégamment ce concept : tant que l’alien est caché (ou que les personnages cherchent à lui échapper), les règles proposent un petit jeu du chat et de la souris que les joueurs de l’excellent jeu vidéo Alien : Isolation connaissent bien. On se cache, on détecte l’ennemi à l’aide d’appareils perfectionnés mais pas trop…

Mais dès que l’affrontement commence, l’alien redevient une machine. Ce n’est pas Maman qui le gère, mais des règles automatiques : un tableau sur lequel on tire sa réaction, certaines lignes aboutissant à coup sûr à la mort des proies du monstre. De toute évidence, on s’éloigne radicalement du paradigme fondateur des premiers jeux de rôle, D&D en tête (« pour gagner de l’expérience, il faut tuer des monstres »), davantage encore que dans des jeux pourtant déjà bien gratinés à cet égard comme l’Appel de Cthulhu. En cas d’affrontement, les chances sont clairement en faveur des créatures.

L’alien n’est pas un être vivant avec lequel on pourrait établir ne serait-ce qu’une trêve : c’est un danger qui n’a en commun avec les humanoïdes que quelques traits d’apparence. Il ne cherche qu’à se reproduire, c’est une machine qui tend vers un seul but, ignorant absolument tout autre facteur. Le représenter par une table aléatoire est un choix particulièrement judicieux : la seule « communication » avec le monstre passe par ces jets de dés dont le résultat n’a rien de rationnel ou de compréhensible, ce qui rend réellement l’alien et son comportement « étrangers » à l’humanité. On ne négocie pas davantage avec la bête qu’avec le hasard pur et dur.

Ce péril incompréhensible, ce danger, les humains l’ont bien cherché, après tout, en allant explorer les recoins inconnus de l’espace…

Grosses corpos et petits prolos..

L’univers de la franchise Alien s’est développé au fil des ans à travers de nombreux supports : films bien sûr, mais aussi comics, jeux vidéo, romans et ouvrages techniques… Les auteurs du jeu ont par conséquent pu piocher dans une somme bien plus vaste que celle des informations contenues dans les films (et leurs novélisations, des sources toujours intéressantes dans la mesure où elles explicitent ce qui, à l’écran, relève du simple élément de décor).

L’adaptation s’appuie donc sur d’autres adaptations, et doit procéder à des choix. Il s’agit tout d’abord d’établir ce qui est « officiel » et ce qui ne l’est pas. Le parti-pris de base est simple : les trois premiers films sont intégrés, le quatrième escamoté. Mais la mythologie de l’alien nécessite des explications : les auteurs ont donc choisi d’exploiter également les éléments issus des deux derniers films, Prometheus et Covenant. Ils y ajoutent des informations piochées dans divers médias : le jeu Isolation fait clairement partie de cet univers « officiel », par exemple, et le supplément Colonial Marines s’appuie sur Aliens: Colonial Marines Technical Manual, paru chez Titan Books en 2012. Les éléments développés dans les récents comics filtreront-ils dans l’univers rôlistique d’Alien ? À voir…

En plus des briques qui le constituent, l’univers d’alien se compose de thèmes, comme autant d’axes sur lesquels orienter les intrigues, et donc les campagnes de jeu à venir. Ces thèmes donnent naissance aux trois types de campagnes possibles.

Celle des « camionneurs de l’espace » reprend l’ensemble des thématiques sociales du premier film, où nombre d’analystes voient une œuvre gauchiste. L’alien peut en effet y incarner un capitalisme inhumain qui dévore littéralement l’ouvrier, le prolo de base, représenté par Brett et Parker. Le nom de la société Weyland-Yutani (qui n’apparaît pas encore dans le premier film), vient par exemple de la British Leyland, société automobile en pleine crise dans le contexte social agité par les grèves durant lequel fut tourné et sortit le premier film.

Le deuxième thème s’en éloigne radicalement, adoptant le point de vue reaganien du deuxième film de la série, Aliens, avec ses marines de l’espace jubilatoires : la force des armes fait ici le poids face aux créatures, qui ne l’emportent au bout du compte que par le nombre et leur capacité à envahir, à submerger. Les marines livrent un combat désespéré, mais pas aussi désespérant que l’inepte capitaine Dallas et son équipage de sacrifiés. Le supplément consacré aux marines coloniaux propose donc une atmosphère de film ou de série militaire, avec enchaînement de missions entre lesquelles s’intercalent des épisodes de vie de caserne, le tout sur fond de conflit entre superpuissances. Un élément perdure toutefois : les personnages joueurs restent des pions sur un échiquier qui les dépasse. S’ils réussissent à s’en sortir en vie, ils auront déjà de la chance.

Le troisième thème est sans doute le plus intriguant, dans la mesure où il a joué un rôle de fil rouge dans l’ensemble de la franchise sans jamais venir au premier plan de l’intrigue : c’est celui des colons. L’expansion humaine dans l’espace se confronte inévitablement à des périls inconnus et inconnaissables. Cette clef de l’univers alien, évoquée lors du premier film, se développe toujours en arrière-plan de la franchise : on ne découvre les colons de Hadley’s Hope qu’une fois décimés (à moins de voir la version longue d’Aliens dont le prologue explique leur sort), les détenus d’Alien 3 ne sont pas vraiment des « colons », et le vaisseau de Covenant, avec ses centaines de voyageurs en stase, n’est qu’un accessoire de l’intrigue. Comment le jeu va-t-il exploiter cet aspect indépendamment des autres ? La question reste en suspens, jusqu’à la parution d’un supplément consacré exclusivement aux colons.

En toile de fond de ces trois thèmes se déploie un contexte touffu (associé à une carte de l’espace qui ne l’est pas moins !) dominé par la rapacité humaine. Le capitalisme spatial, ses débouchés et ses effets pervers constituent la base de l’univers d’Alien, mais aussi le moteur de toutes ses intrigues, filées le long des thèmes cités plus haut : affrontement entre les prolos camionneurs et le péril inconnu, combat musclé pour la suprématie humaine (et surtout américaine…) dans le cadre des campagnes de marines coloniaux et visées expansionnistes des grandes sociétés comme Weyland-Yutani, pour lesquelles l’alien est une ressource à exploiter, quitte à mettre en danger l’humanité entière.


Rejouer les films, mais pas tout à fait.

Fort d’un système de jeu qui cherche à incarner les codes de la franchise alien et d’un univers composite issu de divers médias mais qui sait rester cohérent, le jeu offre une expérience de jeu bifide.

D’une part, Fria Ligan propose des scénarios où la volonté de reproduire l’atmosphère des films saute aux yeux : Le chariot des dieux rappelle beaucoup Alien (et dans une moindre mesure Alien 4, le mal aimé que le jeu préfère pourtant éviter d’évoquer), Le destructeur des mondes, avec ses marines coloniaux, fait penser à Aliens… Une intrigue ramassée et dense, la nécessité de tenir un rythme soutenu, et surtout les objectifs des personnages joueurs : chacun dispose à chaque acte (le scénario en comprend toujours trois) d’une carte où figurent ses buts. Ceux-ci, assez simples au début, peuvent rapidement entrer en conflit avec ceux des autres membres du groupe, et entraînent donc une dynamique proche de celle des films (quand l’androïde ou l’agent de la compagnie révèle que les ordres de la société Weyland-Yutani comptent davantage que la vie de ses employés).

Ces scénarios en mode cinéma sont les plus tendus, les plus originaux aussi. Un des principes sacrés du jeu de rôle n’y a plus cours étant donné que les personnages ne reçoivent pas d’expérience et n’évoluent pas. Le choix est audacieux : les joueurs et joueuses sont privés d’une partie de leur influence sur le récit, puisqu’ils doivent se plier aux exigences des personnages qu’ils interprètent (par l’intermédiaire des fameux objectifs).

Le mode campagne, lui, reste plus « traditionnel » : des personnages qui progressent au fil des scénarios, une succession d’histoires mettant en scène les mêmes protagonistes. Bref, du jeu de rôle à l’ancienne, qui fonctionne toutefois efficacement, comme en témoigne la campagne proposée dans le supplément Colonial Marines (à paraître en VF chez Arkhane Asylum).

Alien, l’impossible adaptation !

Alors que l’adaptation de films à l’intrigue aussi resserrée que ceux de la franchise Alien (tout le monde meurt, ou presque !) laissait craindre le pire (et notamment un focus sur les marines de l’espace qui aurait laissé de côté certains thèmes essentiels), l’équipe de Tomas Härenstam réussit un véritable tour de force en proposant un jeu qui décortique efficacement tous les codes de cet univers.

Il ne s’agit pas pour autant d’un sans-faute : d’apparence très facile, le jeu donnera du fil à retordre aux meneurs débutants, qui devront apprendre à la dure les contraintes du rythme et de la gestion de ressources, mais aussi parfois répondre à des questions dont la réponse ne figure pas dans le livre de base ou les scénarios. Il faut le réserver en outre à des joueurs et joueuses prêts à prendre un certain recul sur des personnages fragiles, capables de trahison et soumis aux impératifs des objectifs (si l’on joue en mode cinéma).

L’adaptation reste particulièrement savoureuse, et l’on est en droit d’espérer une réussite au moins aussi satisfaisante de la part de Fria Ligan, qui prépare actuellement un jeu consacré à une autre franchise culte, celle de Blade Runner.

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Spécialité(s) :

Jeu de rôle, ciné, SF, pâtisserie quantique

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